Les téléspectateurs ayant regardé la séquence d’On n’est pas des pigeons sur la RTBF ce mercredi soir auront vu quelques habitants de Masnuy-Saint-Pierre se serrant un peu pour rester dans le cadre de la caméra sur le quai de leur gare menacée. Il y a Masnuy-Saint-Jean, Masnuy-Saint-Pierre et même Masnuy-Bruyères – ce sont des villages bien champêtres entre Jurbise et Soignies. Dans ces campagnes, avec les saisons, le train rythme le quotidien depuis bientôt deux siècles.
Leur gare est menacée parce que la SNCB cherche à réaliser des économies, et que moins de 50 voyageurs embarquent chaque jour à Masnuy. La décision tombera vendredi. Le ministre de la Mobilité s’est prononcé contre toute fermeture de point d’arrêt. Mais les voyageurs d’ici se méfient des décisions de la capitale, qui n’a jamais paru si éloignée. Et sans qu’ils ne comprennent vraiment les logiques ultra-libérales qui animent les entreprises publiques autonomes comme la SNCB d’aujourd’hui, ils ont tout à fait raison…

18h32. Juste avant le direct télé avec Bruxelles, la sonnerie du passage à niveau retentit alors que s’abaissent les barrières. Les voitures s’arrêtent, les oiseaux se taisent, le caméraman et la journaliste sourient de cette interruption forcée. Un IC fend l’air et décoiffe la petite assemblée; venu de Mons, il file vers Bruxelles et son aéroport. Mais – et c’est toute l’ironie – aussi rapide et bruyant soit-il, il n’atteindra la capitale que de longues minutes après les mots des voyageurs inquiets.
Le sujet plié et diffusé à la nation, et l’équipe de la RTBF repartie, les voyageurs restent à mes côtés avec mille questions et témoignages. Certains, retraités, prennent le train à Masnuy depuis 58 ans et parlent de leur liberté et d’un monde plus vert pour les jeunes. Un couple m’explique qu’ils ont acheté la maison à côté du passage à niveau il y a 15 ans malgré le vacarme des grands trains, mais juste pour être à côté des petits trains qu’ils prennent chaque jour pour aller à Mons ou Bruxelles…
Au même moment sans doute, du côté de la grande gare du Midi à Bruxelles, une brigade de fiscalistes met la dernière main aux statistiques, aux data, dont ils abreuveront le conseil d’administration de la SNCB vendredi. Leur mission terminée, ils remonteront dans leurs berlines foncées et s’en retourneront satisfaits dans leurs banlieues à mille lieues de Masnuy et de ses soucis. Ils ne mettront jamais les pieds ici.
Sur le quai aux installations vieillies, une maman habitant de l’autre côté des voies me dit qu’elle n’a jamais encore passé le permis de conduire, et qu’il n’y a de toute façon pas assez d’argent dans le ménage pour acheter une deuxième voiture… Un papa dit qu’ils devront déménager. Une dame au regard pétillant prend une mine grave en me disant que si la gare ferme, jamais elle ne pourra mettre sa gamine en secondaire à Brugelete…

Ces trains de vie modestes désormais en suspens, les huiles de la SNCB les ignorent. Ces pensionnés qui veulent se battre pour la mobilité de demain, ces mamans qui peinent à organiser les trajets de leurs jeunes ados, cette jeune chômeuse qui voudrait retravailler dans un commerce en ville : tous, toutes ne sont que des numéros sans âme, des points excentrés sur le graphique des moyennes, des anomalies donc, dans un master plan promettant – fallacieusement ! – qu’en sacrifiant Masnuy et vingt autres gares, la SNCB retrouvera une ponctualité respectable.
Ainsi va aujourd’hui la conception dominante du service au public. Un public qui est aussi une clientèle. Et bien sûr, lorsque Masnuy fermera, que ce soit bientôt ou un peu après, il n’y aura de la part de la SNCB, de ses administrateurs, de ses fiscalistes aux costumes sombres, aucun mot d’excuse. Ils ne viendront pas porter la triste nouvelle. Il y aura juste une annonce, puis une affiche impersonnelle sur les quais abandonnés priant la clientèle d’aller prendre le train à Jurbise ou Soignies… Juste comme ça.
Duncan Smith, Vice-président